Après le chamboule-tout politique de 2017, la maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole s’est prêtée pendant trois heures et demie à un entretien-fleuve pour un large tour d’horizon à mi-mandat. Perche tendue par Emmanuel Macron en 2016, PS en ruines, refondation politique, diversité de la majorité municipale… Dans ce contexte particulier, Johanna Rolland précise sa méthode et livre sa vision : nouvelle gouvernance, importance de la nature en ville, nouveaux grands projets, contribution de Nantes aux transitions écologique, numérique, démocratique, renouveau culturel, singularité nantaise, Kita et le FCN, relation avec Saint-Nazaire… Et annonce qu’elle sera candidate en 2020. Nous y avons ajouté quelques questions de personnalités nantaises, universitaires, élu d’opposition LR, députée LRM, chef d’entreprise…
Entretien réalisé par Franck Renaud, directeur de la revue Place Publique, et Éric Chalmel pour ce blog.
Cet entretien réalisé le 6 juillet 2017 a été relu par Johanna Rolland qui n’a rien modifié de façon significative. Il paraît dans son intégralité, simplement corrigé des scories de la langue parlée pour une meilleure lecture.
(Rires) D’abord, j’ai jeté un œil à notre premier entretien. Vous verrez qu’un certain nombre d’intuitions que j’ai eues se sont confirmées. Un, il y a un besoin profond de renouvellement des pratiques politiques et des logiciels de pensée ; deux, les organisations politiques traditionnelles sont à bout de souffle. Je crois pour ma part à la nécessité d'un cadre collectif, même imparfait c’est le seul cadre démocratique que je connais, mais ces organisations ont besoin d’être renouvelées. J’évoquais aussi pourquoi, très tôt dans mon parcours, j’avais fait le choix de l’ouverture à la société civile, pas simplement pour constituer ma liste aux élections municipales – qui était sans doute une des listes des grandes villes de France les plus ouvertes à la société civile – mais avant même, aux élections départementales, quand j’avais fait le choix d’avoir un suppléant issu de la société civile, Ali Rebouh, contre l’avis de certains au PS… Lorsque je relis cet entretien de 2013, au regard de la situation politique actuelle, en sentant aussi ce que les gens me disent sur le terrain, ces intuitions se sont confirmées. Cela me donne plutôt envie d’accélérer de ce côté-là.
De médium, je ne sais pas, mais je pense que l’intuition ça compte en politique. Le maire est quand même le seul échelon politique où l’on peut à la fois porter une vision, un cap stratégique, et en même temps être dans la vie quotidienne des gens, les deux pieds dans la quotidienneté. Je crois que ça compte, cette capacité, modestement, avec ses limites, de sentir cela.
C’est une question de pratique politique. Je vais vous donner une petite anecdote. Dans les équipes que j’ai recrutées lorsque je suis arrivée, ou que j’ai renouvelées – il ne vous a pas échappé que j’ai aussi profondément renouvelé les équipes politiques ou administratives – j’ai recruté un certain nombre de personnes qui venaient, par exemple, des Régions. Je leur disais toujours, lors de l’entretien de recrutement : attention, vous allez voir, le rythme d’une ville, c’est différent. Poliment, ils me répondaient : oui, oui, bien sûr… Et quand je les revois quelques mois après, ils me disent qu’ils n’auraient pas imaginé à quel point c’était différent. Je pense que la première réponse correspond à l’échelon de la ville. Ensuite, il y a ce qui me correspond, à ce que je suis et à ma pratique d’élue. Moi, j’aime ces temps de terrain, sans filtre, sans intermédiaire. C’est un vrai temps pour expliquer ce que l’on fait, mais aussi un vrai temps pour entendre.
Non. La question, c’est l’intensité de la vague En Marche à l’échelle nationale. La question politique est là. Elle conjugue plusieurs choses. Il faut quand même être clair, pour la gauche c’est la défaite la plus sévère de notre histoire moderne. Ayons la lucidité et l’honnêteté non pas de chercher des excuses, mais de chercher la part de responsabilité de la gauche. Ça signifie qu’à un moment donné, quelque chose n’a pas fonctionné. Dans la capacité à proposer une vision, dans la capacité à rassembler, dans le portage du bilan et la capacité à projeter. Il y a eu une vague nationale En Marche, une séduction Macron, extrêmement fortes. C’était très révélateur de regarder les modes de campagne des équipes Macron et des équipes Mélenchon lors des législatives… Regardez leurs documents, où les candidats prennent parfois moins de place que Macron que Mélenchon : il y a eu une stratégie totalement nationale qui a payé. C’est un cadre classique, il a été renforcé. Dans la Vème République, les législatives confortent toujours l’élection présidentielle. Cela s’est renforcé depuis l’inversion du calendrier électoral et cela s’est amplifié avec l’effet Macron ! Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est de comprendre pourquoi il y a eu cette adhésion. Ceux qui essaient de minimiser, je pense qu’ils sont dans le déni. Sur le terrain, j’entends des gens qui ont voté pour Emmanuel Macron pour des raisons extrêmement différentes. Je ne crois pas du tout qu’il y ait eu un vote uniforme, je pense qu’à présent nous devons en chercher les raisons.
Non. (Un silence). Non.
« Nous sommes arrivés à la fin d’un moment de la société »
On peut quand même dire que nous sommes à la fin d’un cycle historique, celui de quarante années de socialisme municipal depuis les élections de 1977, et celui de trente-cinq ans depuis l’accession de François Mitterrand au pouvoir…
Nous sommes totalement à la fin. Pourquoi je réponds non de manière aussi spontanée à votre question : sommes-nous à la fin d’un cycle ? Oui, nous sommes totalement à la fin d’un cycle et je pense même que cela va au-delà. Je reviendrai sur la question de 1981. Je pense que nous sommes arrivés à la fin d’un moment de la société, c’est-à-dire que je ne crois pas que la question soit uniquement politique. La question politique traduit le fait que nous sommes entre deux mondes. Je suis convaincue que le monde d’hier se termine et que celui de demain n’est pas encore vraiment dessiné. Si Macron a gagné, indépendamment des ressorts du marketing et des stratégies de communication, c’est parce qu’au fond il a saisi que le monde était en mutation. Et qu’il a formulé une proposition. Je revendique que plusieurs pistes existent pour passer du monde d’hier au monde d’aujourd’hui. Je crois profondément que le fait que nous soyons à la fin d’une époque et au début d’une autre, politiquement, est aussi le reflet que la société, dans ses enjeux, dans ses contenus, dans la compréhension des questions de fond qui la traversent, vit une mutation. On le voit sur les sujets de l’emploi, quand on parle des questions d’horizontalité et de verticalité, quand on parle des questions de mondialisation et en même temps du besoin de protection, on le voit quand on parle de la montée de certaines formes de radicalité communautariste et en même temps de sociétés qui continuent à conquérir des libertés – je pense par exemple au Printemps arabe… Et cetera. Il me paraît extrêmement important de le dire, sinon on finit par croire que la politique c’est le jeu des petits chevaux, choisir le candidat qui va gagner sans dire à quoi cela correspond en profondeur… Je crois que là, c’est ce qui s’est produit. Mais je pense aussi qu’Emmanuel Macron a habilement surfé sur un essoufflement, une aridité intellectuelle, une absence de travail de fond, une fin de cycle des partis de droite comme de gauche. D’ailleurs ce n’est pas un phénomène uniquement français. La crise de la social-démocratie existe dans quasiment tous les partis européens.
Je vous répondrai en revenant sur la question de mai 1981. Elle m’avait déjà été posée lors de notre premier entretien. J’avais dit que mai 1981, ce n’est pas mon histoire. Je sais quelles ont été les grandes avancées, les grandes conquêtes, les radios libres, et cetera. Mais je ne me sens pas de ce monde. J’ai été candidate en 2014 en disant : le monde a changé, le monde est en train de changer, Nantes change et donc voici la direction que je vous propose pour notre ville. Je suis animée par l’envie d’apporter des réponses à ce changement.
Bien sûr, mais pour moi la question est de savoir comment on s’inscrit dans un monde en mouvement, parce que c’est impératif, en ayant de vraies convictions.
« Le PS ? Tout est à revoir, de la cave au grenier »
Oui, ça veut dire quelque chose, ça correspond à une pratique politique, à des doctrines. Moi, je ne m’y reconnais pas totalement.
Ses valeurs ont-elles disparu ? Je ne le crois pas. L’organisation telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, et elle n’est pas la seule dans ce cas, a-t-elle tout à revoir, de la cave au grenier ? Absolument ! Est-ce qu’on sait aujourd’hui ce qu’il adviendra ? Personne ne peut le dire.
Je ne crois pas. J’ai rencontré Emmanuel Macron au mois de novembre 2016. Il venait de quitter le gouvernement, il m’a proposé un rendez-vous. Soyons clair, il cherchait des maires de grandes villes d’une nouvelle génération, plutôt branchés sur les questions de créativité et d’innovation, et visiblement, dans cette logique où l’on checke comme ça, à la En Marche, je correspondais bien à ce profil. Nous avons eu un échange de plus de deux heures à Paris, très intéressant, dans les premiers locaux d’En Marche près de Montparnasse. Nous avons eu un vrai échange sur le fond. J’ai vu un homme brillant, avec une vraie vision pour la France, pas trop prétentieux ce qui, dans une période où je rencontrais tous les candidats à la présidentielle, n’était pas la qualité la plus répandue… Une vraie discussion à égalité et en même temps…
(Rires)… En même temps, donc, on a aussi eu un moment un peu… vif – je ne sais pas si c’est le bon mot – quand il est venu me chercher sur la créativité et l’innovation. Au bout d’un moment, je lui dis : d’accord, moi aussi je suis à fond pour l’innovation, c’est ce que je pousse à Nantes, en même temps l’innovation doit être au service d’un projet, l’innovation en soi ce n’est pas un objectif, l’innovation, la transgression même oui, mais pour quoi faire ? Et je finis par lui demander, puisque notre rencontre avait lieu quelques temps après sa visite au Puy-du-Fou : quelle innovation es-tu allé chercher chez Philippe de Villiers en Vendée ? À ce moment de l’entretien, j’ai senti un raidissement, alors que jusque là l’échange avait été agréable, intelligent, intéressant…
La faute aux médias qui avaient surdimensionné l’événement… Sur le fond, je me suis posé deux questions ce jour-là. La première : il avait raison sur un certain nombre de sujets sur lesquels j’étais en phase. Mais de la théorie à la pratique, de l'intention aux conditions de mise en œuvre il y avait beaucoup de flou. Sans doute lié à une vision quand même centralisatrice et jacobine. La mise en mouvement des territoires, quelles sont les conditions pour que ça marche ? Là, je suis restée sur ma faim. Mais j’ai considéré que c’était normal, nous étions au tout début de la campagne, on s’entoure de gens différents de soi, on va chercher des expériences, des regards différents… La deuxième, sur le fond, qui m’a fait dire que je ne rejoindrai pas cette dynamique : je lui dis très bien, « libérer les énergies », moi c’est mon truc. (Pour la petite histoire, je dis « libérer les énergies » à Nantes depuis 2014. Mes collaborateurs me demandent d’arrêter à présent que Macron le dit. Je leur réponds qu’il n’en est pas question, que cela n’aurait pas de sens…). À la fin de l’échange, j’ajoute « très bien la créativité, la mondialisation, l’ouverture, mais que dit-on à celles et à ceux qui sont en précarité, en fragilité, ou juste qui rencontrent une difficulté dans leur parcours de vie ? Là, non seulement il n’avait pas de proposition concrète, mais j’ai senti – et c’est ma part de subjectivité – que ce n’était pas dans son logiciel. S’il y a beaucoup à bouger dans les organisations politiques, la question des ressorts intimes de convictions est essentielle. Moi, je sais pourquoi je me suis un jour engagée en politique, je sais à quoi cela correspond dans une certaine conception, par exemple, de l’égalité. Ça ne m’empêche pas aujourd’hui d’avoir une position très claire par rapport au gouvernement et à la présidence Macron : à chaque fois qu’il y aura une mesure positive, je la soutiendrai. Et il y en a. Prenons un exemple : la décision de dédoubler les classes de CP en ZEP2. Franchement, c’est une belle mesure, audacieuse, avec le courage de bousculer un peu cette belle et grande institution qu’est l’Éducation nationale. Quand Jean-Michel Blanquer (le ministre de l’Éducation nationale) m’a appelée – il s’inquiétait de la réaction des maires – je lui ai dit que j’allais soutenir cette réforme et demander à l’administration de se mettre en mouvement dès la rentrée, sachant que c’est loin d’être simple. Par contre, et je le dis avec la même liberté, je suis opposée à la remise en cause de la réforme des rythmes scolaires. Je pense que des sujets comme l’éducation ou la sécurité doivent garder une dimension de cohésion nationale. Sinon cela signifie que selon l’endroit où vos enfants ou petits-enfants sont scolarisés, l’égalité des chances n’est pas la même. On en revient à cette question de l’égalité réelle : quel était son engagement sur le maintien du fonds pour que les villes la mettent en place ? Il m’a répondu que sa position personnelle était le maintien du fonds et, « rassurez-vous, on ne va pas détricoter puisqu’on va laisser la liberté aux villes… » Son raisonnement marche si le fonds est maintenu, sinon ce serait quand même faire preuve d’hypocrisie de parler de liberté alors que les villes n’auront pas le choix… Je prends ces deux exemples pour illustrer ma position par rapport aux actes d’Emmanuel Macron. À chaque fois que cela ira dans le bon sens, que je penserai que c’est dans l’intérêt général et que cela apporte un peu d’oxygène, je le soutiendrai en tant que maire. Par contre, à chaque fois que cela heurtera mes convictions, que je sentirai qu’il s’agit d’une décision prise depuis Paris dans une France restée trop jacobine, alors je le dirai aussi. Comme cela m’est arrivé aussi, je le précise au passage, lors du dernier quinquennat, avec un gouvernement pour lequel j’avais voté et que je soutenais.
Non, mais je la partage totalement.
Un mot sur le bilan du quinquennat. Est-ce qu’il a ses faiblesses, ses limites ? Il suffit d’être sur le terrain pour constater que la réponse est oui. Les gens ne nous ont pas compris, c’est bien qu’il y a eu des difficultés et sur le fond et sur la forme. Sur le fond, je prends un exemple, je pense que la déchéance de nationalité a été un moment de rupture entre le gouvernement et une grande partie du peuple de gauche. Je pense que la défaite politique pour le gouvernement sur la loi travail avait été préparée par la défaite morale sur la déchéance de nationalité. Pour moi, ça a été un tournant du quinquennat. Est-ce que pour autant, je fais partie de ceux qui considèrent que l’on peut balayer le bilan ? Ce n’est pas vrai, parce que quand 60 000 postes sont créés pour l’éducation, je vois concrètement le résultat à Nantes. Je vois des classes où avant il y avait trente-et-un élèves, où maintenant ils sont vingt-six. Il n’y a pas de mystère, ce sont aussi ces décisions qui dans la durée changent les choses. Mais après, il y a aussi l’incapacité de faire récit et de ce point de vue, le message des électeurs a été très clair. Mais le problème remonte au-delà, le délitement du travail intellectuel existait avant ce quinquennat.
Quand l’ancien Premier ministre a accepté de devenir ministre des Affaires étrangères, je crois vraiment, pour en avoir discuté avec lui, qu’il l’a fait habité par une certaine idée de servir le pays jusqu’au bout quand certains quittaient le navire.
Est-ce qu’il y a un certain nombre de sujets, de propositions, d’esquisses formulés par Emmanuel Macron avec lesquels je peux être en phase ? Oui, clairement. Je prends un exemple, le partenariat public-privé, je l’assume et je le revendique, je l’ai même accéléré depuis 2014. Quand, avec le maire de Saint-Nazaire, David Samzun, nous mettons en place une agence économique Nantes/Saint-Nazaire, quand pour la première fois je mets en place un conseil des acteurs économiques, quand nous montons des déplacements à l’international qui, pour la première fois, associent le public et le privé, je le revendique. Parce que Nantes est aussi une terre d’entrepreneurs, qu’on a besoin de cette capacité d’audace et que, jusqu’à preuve du contraire, je ne connais pas de politique d’emploi sans politique de développement économique. Cette dimension, je la partage avec Emmanuel Macron. La dimension des transitions, notamment de la transition numérique, je la partage aussi. Je pense qu’il y a aussi des marqueurs. Nous avons eu une discussion sur la transition écologique : c’est technique ou c’est politique ? Emmanuel Macron me dit : la transition écologique, toutes les grandes villes en font. Je lui réponds : tout le monde ne fait pas pareil, je revendique des marqueurs. Un exemple, quand à Nantes en 2020 la moitié des logements sociaux seront chauffés aux énergies renouvelables, dans une métropole où 70 % des ménages sont éligibles au logement social, c’est une transition écologique au service de la lutte contre les inégalités. Dans d’autres villes, c’est un autre choix et un autre modèle : on fait un éco-quartier, on y met beaucoup d’argent, beaucoup de moyens, on y fait venir beaucoup de médias, on fait de la transition écologique pour une toute petite partie de la population. Leur priorité est de mettre la transition écologique au service du rayonnement là où à Nantes, nous disons que la politique d’attractivité, la politique de rayonnement, est au service d’une politique de l’emploi. Je suis convaincue que derrière ces enjeux, il y a des choix de marqueurs, des choix de convictions, sinon ça veut dire qu’on ne fait que de la gestion. Pour en revenir à votre question, ça ne me surprend pas que Macron ait dit cela de Nantes. Oui, il y a plein de sujets sur lesquels nous pouvons être en phase, je suis aussi une élue pragmatique et je peux parfaitement me retrouver dans une partie des enjeux d’innovation. Surtout, je pense que c’est bien pour Nantes parce qu’évidemment, c’est toujours positif quand un territoire est reconnu pour ce qu’il amène et ce qu’il impulse. Mais je crois qu’on doit bouger l’équilibre structurel du pays entre Paris et les territoires. Nous vivons quand même dans un pays qui demeure super jacobin, dans un pays qui reste super centralisateur. Les ministres passent, les fonctionnaires de Bercy restent et donc un certain nombre de choses sont installées dans les esprits qui bloquent la mobilité. Tous les choix faits depuis 2014, y compris les responsabilités que j’ai accepté de prendre, que ce soit aujourd’hui la coprésidence du Club des métropoles ou Eurocities, ont un même fil : porter la voix des villes. Je suis convaincue, dans cette idée du monde d’hier qui se termine et du monde de demain qui n’est pas encore dessiné, que ce chemin se dessinera sans doute d’abord dans les territoires. C’est une vraie bataille à mener.
C’est une très longue bataille, mais elle est aussi passionnante. Ce n’est pas que la bataille des villes.
« Prenons la question du climat : c’est dans les villes que ça va se jouer »
C’est essentiel et je pense même que c’est impératif pour la société. Prenons la question du climat : on a vu Trump récemment, tout le monde dit la COP21, les accords de Paris – qui, pour le coup, sont plutôt à mettre au crédit du quinquennat -… Pour passer de la théorie à la pratique, c’est dans les villes que ça va se jouer ! Demain, à l’échelle du monde, 80 % de la population vivra dans les villes, 70 % des émissions de gaz à effet de serre seront produites dans les villes, si elles ne prennent pas le lead, si elles ne se situent pas à l’avant-garde, on ne résoudra pas la question du défi climatique. La réalité c’est aussi la capacité d’agilité de nos territoires parce que dans une métropole comme Nantes, sur un sujet comme celui-là, nous sommes capables de mettre autour de la table des entreprises, des acteurs culturels, des acteurs environnementaux et de nous interroger sur le pacte que l’on passe ensemble. Il y a un vrai mouvement, des intellectuels travaillent autour de cette idée de la gouvernance des villes, qui avancent que le 21e siècle sera le siècle des maires, tout un courant de pensée se solidifie. J’y crois beaucoup, à une condition - et je suis sur une position qui n’est pas tout à fait partagée parmi les présidents de métropoles - c’est que cette voix des villes, ce ne soit pas la voix de l’urbain contre le rural ou du rural contre l’urbain. Ça a été une des limites. En France nous avons tendance à opposer et parfois à instrumentaliser ces oppositions entre territoires urbains et ruraux. On a vu les résultats électoraux avec la montée du Front national. Je pense que c’est idiot parce que ça ne correspond pas à la réalité. On oublie deux choses : il y a aussi des quartiers fragiles dans les grandes villes et il y a de nombreux territoires ruraux dynamiques et créatifs. Donc ça ne correspond pas aux réalités d’aujourd’hui. Ensuite, je pense que les sujets de demain, comme la mobilité ou la transition alimentaire, vont nous obliger à penser autrement les rapports entre les territoires urbains et ruraux. C’est ce que j’ai appelé l’alliance des territoires et c’est ce que j’essaie d’impulser sur Nantes. Sur le transfert du MIN, on aurait pu simplement penser le transfert versusinfrastructure et je peux vous garantir qu’il y avait déjà du travail, ne serait-ce que pour finaliser les accords de négociation avec les entreprises. Sauf que nous allons au-delà : comment on fait de ce transfert la pierre d’une nouvelle logique dans les rapports avec l’agriculture périurbaine. Ça, à l’échelle d’un territoire, c’est une réponse collective, dans des logiques collaboratives que nous sommes capables d’imaginer.
Deux questions derrière cela. D’abord je pense que les logiques de projet ne sont pas forcément les logiques institutionnelles et que si on veut mettre un peu d’agilité, un peu de souplesse, il faut aussi parfois être capable de sortir des frontières administratives et de se demander ce qui fait sens comme territoire par rapport au projet. Ensuite, sur la question de la fusion demain, partout, des métropoles et des départements et de la disparition de ces derniers, si je suis une convaincue du rôle des métropoles, je ne suis pas sûre qu’il puisse y avoir une réponse unique en France, ne serait-ce que parce qu’il n’existe pas de métropole dans l’ensemble des départements. Si les départements devaient disparaître partout, qui prendrait leur rôle sur le champ des solidarités ?
J’étais favorable à cette fusion. La maire de Rennes, Nathalie Appéré, y était favorable également. Je continue de penser que c’est le sens de l’histoire et pour être directe, je regrette que les positions personnelles d’un ministre, en l’occurrence Jean-Yves Le Drian, qui était alors aussi président de la Région Bretagne, aient fait échouer cette perspective. Je le dis clairement.
Ce n’est même pas seulement ça et c’est ce qui est passionnant quand on est maire d’une grande ville… On n’est pas commentateur de la politique nationale ! il y a eu le choix du président de la République, dont acte. Nous, avec Nathalie Appéré, que faisons-nous ? Nous disons, ce n’est pas un problème, nous continuons nos coopérations de projet, on fait fi des raisonnements purement administratifs et institutionnels, on garde cette conviction et on travaille. Par exemple sur les parcours touristiques : pour première fois on aura une logique Voyage à Nantes en lien jusqu’à Rennes et Saint-Malo. C’est-à-dire que l’on fait primer une logique de projet et de territoire sur une logique administrative et institutionnelle, on agit.
Bien sûr, mais on est dans l’action et pas dans le commentaire. On est dans un cadre qui existe : comment on prend la main, comment agir pour ne pas subir ?
D’abord, si on regarde un peu en arrière, au début du quinquennat Hollande, j’ai soutenu la baisse des dotations de l’État, considérant comme assez logique que les collectivités locales participent à l’effort de redressement du pays. Au bout d’environ deux ans, j’ai considéré qu’on allait un peu loin et à ce moment-là, j’ai posé un premier acte : j’ai co-écrit un courrier, à l’époque avec Anne Hidalgo [maire de Paris] et Gérard Collomb [alors maire de Lyon et président de la métropole, aujourd’hui ministre de l’Intérieur ayant rejoint La République en marche] - vous voyez qu’en terme de spectre politique d’aujourd’hui, ce n’est pas inintéressant - un courrier dans lequel nous affirmions : attention, vous allez trop loin, si jamais vous affaiblissez la capacité d’investissement des grandes métropoles qui sont quand même le moteur du développement économique et donc de l’emploi du pays, est-ce que vous êtes bien sûr que la reprise de croissance que tout le monde attend sera facilitée ? C’est la première bataille menée. Après, j’ai conduit avec Nathalie Appéré [maire de Rennes], avec Estelle Grelier [alors députée de Seine-Maritime, adjointe au maire de Fécamp jusqu’en 2014, nommée secrétaire d’État à la ruralité et aux collectivités locales en 2016], avec Olivier Dussopt [maire d’Annonay dans l’Ardèche, également député, président de l’Association des petites villes de France], une bataille autour de la DGF [Dotation globale de fonctionnement] qui visait à dire deux choses : la question ce n’est pas seulement l’argent injecté dans les territoires, la question, c’est l’autonomie, la capacité de souplesse et d’initiative que l’on donne. Je regrette qu’en France on ne soit pas capable au niveau de l’État de distinguer dans nos territoires un investissement qui est productif, créatif, d’un investissement qui ne l’est pas. J’avais pris un exemple : j’avais d’ailleurs eu cette discussion avec Emmanuel Macron lorsqu’il était encore ministre de l’Économie. Je lui avais dit : regarde, un maire qui voudrait refaire sa mairie, on ne sait pas pourquoi, ce qui arrive parfois pour des mauvaises raisons, et un maire qui va soutenir l’Institut de recherche technologique Jules-Verne, vu de Bercy, financièrement, c’est la même chose. Alors que d’un côté, nous avons un investissement créatif et l’autre un investissement qui ne l’est pas. Quelle capacité avons-nous à mettre un peu de subtilité, un peu de qualitatif, dans des décisions qui restent technocratiques ?
Ça veut dire qu’un maire, aujourd’hui, doit défendre la voix de son territoire. Quand il y a eu la bataille de la DGF, c’était à l’époque de Valls, nous avons été quelques maires échauffés par cette histoire… Il nous a invités à Matignon. On fait un tour de table, j’étais assise à la droite de Valls, Nathalie Appéré à sa gauche et nos collègues masculins, car il ne vous aura pas échappé qu’il y a plus d’hommes que de femmes et du côté des métropoles, je ne vous en parle même pas…
Non, pas vraiment, il connaissait déjà mes convictions. On fait donc un tour de table, je passe sur ceux qui sont très véhéments dans les couloirs et qui, sous les ors de Matignon, se montrent beaucoup plus discrets, on finit par se regarder avec Nathalie Appéré et on décide d’y aller. On explique pourquoi on ne tiendra pas sur la DGF et pourquoi on ne soutiendra pas et je finis par dire à Manuel Valls : à un moment, si tu nous demandes de choisir entre la loyauté au gouvernement et la loyauté au territoire, on choisira la loyauté au territoire, en tout cas, ce sera mon choix. Donc oui, quand on est maire d’une grande ville, on la défend bec et ongles et la DGF a été une vraie bataille. En même temps, cela a été une étape réussie. Après, il y a une deuxième question plus structurelle. Quel que soit ce qui se passe, je ne crois pas qu’il y aura de retour en arrière, quel que soit le gouvernement. Il y a une espèce de rapport structurel entre l’État et les collectivités qui se traduit différemment. C’est aussi pour cela que les collectivités doivent bouger. Et c’est également la question du rapport à une certaine sobriété qui renvoie aussi aux enjeux de finitude des ressources. Cela fait aussi partie du renouvellement du logiciel de pensée.
Je connais des ministres qui sont venus sur ce territoire et qui m’ont dit : présidente de métropole, tu as quand même beaucoup plus de latitude d’action.
Moi, j’y suis favorable, mais cette position n’est pas forcément très partagée…
C’est pour moi un sujet important. En 2014, j’avais pris deux engagements. Un, j’avais dit que si je gagnais, je démissionnerai de mon mandat de conseillère départementale, ce que j’ai fait le jour même du premier conseil municipal. La deuxième chose, lorsque j’ai constitué ma liste, j’ai voulu qu’il n’y ait pas de parlementaire en situation d’exécutif. Qu’est-ce que je n’ai pas entendu à ce moment-là ! Un certain nombre, j’allais dire d’« historiques », m’ont soufflé : mais c’est toujours comme cela, Johanna, il faut un parlementaire pour pousser une liste… Je n’ai pas lâché. En un mot, la loi sur le cumul des mandats qui va enfin s’appliquer, nous l’avons mise en œuvre avec trois ans d’avance. Le renouvellement des pratiques, en parler, c’est bien, le faire, c’est mieux.
Absolument. Même si je ne crois pas que ce soit la seule raison.
Les deux années que j’ai passées auprès de Patrick Rimbert, de 2012 à 2014 [maire de Nantes après que Jean-Marc Ayrault a été nommé Premier ministre] ont été une période durant laquelle j’ai été associée à toutes les décisions, de la plus petite à la plus grande, ce qui a beaucoup joué pour la suite. Je le dis, parce que quand j’ai été élue maire, il y avait eu cette étape-là. Ensuite, ça peut paraître un peu naïf, c’est la différence entre ce que l’on connaît intellectuellement et ce que l’on vit intimement. J’ai eu cette expérience, je suis une élue de terrain, j’ai eu tout un parcours dans les quartiers populaires, j’ai toujours été très à l’aise dans le fait de monter des projets avec les gens qui ont telle ou telle idée, par contre le rapport avec les gens qui ne vous demandent rien, qui ne vont pas monter de projet, mais qui vous interpellent parce que vous êtes le maire, parce que vous représentez l’institution, qui veulent prendre une photo, avoir un moment de discussion, ça a fait partie des choses sur lesquelles j’ai senti une différence.
« Je crois au leadership collectif »
Comment définiriez-vous votre style de maire ?
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(c) Ville de Nantes |
On écoute d’abord, on décide après. J’ai beaucoup évoqué le dialogue citoyen, qui a été critiqué, commenté, débattu… Tant mieux ! Quand les choses font débat, je trouve cela positif. Je crois au leadership collectif. La campagne présidentielle est très intéressante de ce point de vue-là. On a deux personnes, qui n’ont rien à voir sur le plan des idées, Macron et Mélenchon, qui ont des affichages ultra-collaboratifs et qui dans la réalité sont dans une verticalité rarement connue… Tout le monde disait qu’il est grand temps de passer à la VIe République et on revient dans ce que la Vea de plus dur. Moi, je crois qu’un maire moderne, c’est bien sûr quelqu’un qui décide, quelqu’un qui assume, quelqu’un qui arbitre, mais c’est aussi quelqu’un qui fédère et qui parfois crée les conditions du possible et ça, c’est un vrai changement. Je revendique le fait que des idées ne sont pas nées au sein de la municipalité nantaise, qu’elles ne sont nées ni dans la tête des élus ni dans la tête de l’administration et c’est tant mieux. Un élu moderne doit être capable de dire : il y a une idée dans la tête d’un chef d’entreprise, il y a une idée dans la tête d’un acteur culturel, il y a une idée dans la tête d’un acteur sportif et moi, mon rôle, c’est simplement de la rendre possible et, quand on le peut, de faciliter les conditions d’épanouissement du projet.
C’est plus collaboratif. J’assume clairement l’idée d’un leadership collectif, d’abord parce que les citoyens aspirent à cela et ont envie de contribuer, ensuite parce qu’il n’en demeure pas moins que quand il y a une décision difficile à prendre, une décision importante, effectivement quand vous êtes le maire : vous la prenez et vous l’assumez en première ligne, avec une responsabilité très individuelle même quand il y a eu ce partage collectif.
C’est un marqueur de la méthode et des sujets. J’ai entendu, pas qu’à Nantes d’ailleurs, cette musique qui dit que les maires de la nouvelle génération font du collaboratif parce qu’ils n’ont plus d’idées et qu’ils ne font plus de politique. Je crois qu’à un moment, soit on commente, soit on agit. Je n’ai pas du tout envie de faire partie de ces élus qui, élection après élection, se lamentent de la montée de l’abstention, de la montée du FN et qui ne changent rien. Quand j’ai impulsé ces débats à Nantes, c’était avec cette conviction : je suis convaincue que lorsqu’on dit que les Français ne s’intéressent plus à la politique, c’est faux. C’est l’offre politique telle qu’elle est proposée par les appareils politiques qui ne leur parle plus. Donc, dans le fond, ces démarches visent à récréer du politique. La deuxième chose qui me semble importante, c’est de réfléchir à comment éviter la fragmentation de nos sociétés, où chacun penserait selon qu’il est un homme ou une femme, en fonction du milieu dans lequel il grandi, en occident ou en orient, et cetera. Ces démarches ont une vertu citoyenne : quand vous mettez quarante personnes autour de la table et que vous le faites sérieusement, sincèrement, pendant plusieurs semaines et que chacun arrive évidemment avec son propre point de vue, avec parfois son intérêt personnel et c’est bien humain, un vrai travail de processus délibératif collectif est réalisé. Finalement vous créez du commun, vous recréez de l’intérêt général. Ce qui m’intéresse, c’est autant le résultat que le processus, parce que quand on fait ça, on a accompagné une forme de citoyenneté active.Il faut aussi entendre le message, et on a pu le mesurer à l’occasion des dernières élections, qu’il faut considérer qu’il y a un certain nombre de citoyens pour lesquels la démocratie représentative est presque devenue une démocratie privative : on vous demande votre avis, on ne sait pas ce qui se passe durant cinq ans puis on vous redemande votre avis. Évidemment que je suis favorable à la démocratie représentative, évidemment que je n’oppose pas la démocratie participative à la représentative, mais je pense que la première nourrit la deuxième. C’est une tentative, avec ses limites, qui participe d’un état d’esprit : ne pas subir, essayer d’être acteurs, peut-être qu’on se plantera, mais on aura essayé… Après, le choix des sujets n’a pas été anodin. Premier choix : la Loire, autour de l’idée de la réconciliation avec le fleuve qui était un des axes du projet municipal. Ça fait plutôt partie des dimensions… intuitives, j’en sors 300 % renforcée quand je vois la réaction des Nantais, dans la dimension stratégique mais aussi quand je vois comment ça parle à la dimension sensible, presque charnelle du rapport à l’eau, à une forme de douceur de vivre au quotidien. Deuxième choix : la question de la transition énergétique, pour dire que Nantes se positionne sur le champ des transitions au sens large, numérique, écologique, démographique, économique et démocratique. C’était une manière de parler du rôle des territoires dans cet après COP21, et puis c’était le fait de dire qu’on peut aussi aborder ces sujets de façon positive et même un peu joyeuse, on n’est pas obligé de passer notre temps à dire « au secours », « le monde va mal », le réchauffement, nos enfants, les ours polaires, non on peut aussi partir de ce qui fonctionne, de celles et ceux qui n’ont pas attendu ce débat pour prendre des initiatives et être plutôt dans une logique optimiste.
[rires…]
J’ai d’abord été profondément choquée, à la fois politiquement et intimement, du non appel de Jean-Luc Mélenchon à battre Marine Le Pen au deuxième tour de la présidentielle. Il faut être clair, il y a eu deux votes utiles de gauche dans cette élection. Une partie des Nantais m’ont dit : moi, je vais voter à gauche, mais cette fois-ci, je vais voter utile donc Mélenchon. Dix minutes après, le même raisonnement, arrivait à la conclusion d’un vote Macron. Je pense que le vote Mélenchon est divers : un vote historique d’extrême-gauche que l’on connaît bien, un vote socialiste déçu et un vote urbain de gauche, très mobile…
Souvent. Un vote selon l’offre politique, un coup pour le PS s’il est capable d’incarner un peu de modernité, un coup pour les écolos, et qui cette fois a voté en partie pour Jean-Luc Mélenchon. C’est pour cela que je me méfie beaucoup des analyses que l’on entend sur les chaînes d’information en continu, où le soir même on a déjà tout expliqué. Ce n’est pas comme ça dans la réalité, dans la subtilité des mécanismes.
Nous sommes mal partis… Si pour parler du fond, on commence par causer de popote pour savoir qui va intégrer qui… Le sujet, c’est de partir des contenus et pas des appareils. Dans la tribune que j’ai co-signée3 parue dans Libération, il est dit en gros qu’il existe un espace politique entre le social-libéralisme de Macron et Mélenchon. Cet espace ne peut pas simplement être le retour à la social-démocratie traditionnelle parce qu’on n’est plus dans les années 1980. Ce que je dis est peut-être un peu dur mais après avoir évoqué le monde d’hier qui se termine et celui qu’on essaye de dessiner, j’estime que la social-démocratie ne peut pas être ce chemin-là. C’est-à-dire que ses valeurs peuvent l’inspirer, le réformisme doit demeurer mais on doit s’interroger : le réformisme de gauche aujourd’hui, c’est quoi ? Pour moi, ce réformisme de gauche intègre totalement les questions de transition écologique, parce que les enjeux mondiaux vont nous y amener. Regardez aujourd’hui la place que prend la question des migrants : demain, plus de réfugiés climatiques que de réfugiés économiques. Quand certains de mes amis socialistes, parce que la mutation n’est pas encore tout à fait aboutie de ce côté-là, me disent : oui, mais ça ce n’est pas un enjeu majeur, je réponds que quand on est un homme ou une femme de gauche, on doit évidemment prendre en main ces sujets-là. La social-écologie, c’est la question de la rencontre entre la lutte contre les inégalités, la transition écologique au service d’une dynamique et donc de l’emploi. C’est Laurent Éloi [professeur à Sciences po Paris, auteur de Social-écologie(Albin-Michel, 2011] qui écrit des choses intéressantes sur la social-écologie, y compris sur le rapport à la croissance : il dit, en gros, est-ce que la croissance c’est l’objectif, ou est-ce le corollaire d’une soutenabilité qui va bien, où les hommes et les femmes vont bien. Je le dis moins bien que lui, mais c’est de cette nature-là. Je crois que Nantes est une terre où l’on sait concilier l’initiative économique, un rapport à la question sociale qui, au-delà de mes convictions ou de celles de mon équipe, tient à l’histoire de Nantes qui est à la fois mutualiste et anarcho-syndicaliste, en même temps chrétienne et laïque, et une question environnementale qui est la question du monde de demain. Non seulement je porte à l’échelle nationale, avec d’autres, cette question de la social-écologie, mais je pense aussi que Nantes peut être un révélateur par ce qu’elle est au plus profond de son essence et par ce qu’elle devient. Ensuite, il y a plein de choses à travailler, entre un début de concept, un début de doctrine, un début de déclinaison concrète pour les mettre en œuvre… Il y a des fils à tirer et des questions à se poser.
« Je dirige une équipe où des gens ont voté Hamon, Macron, Mélenchon… »
Il ne vous aura pas échappé que j’ai dans mon équipe municipale des élus qui ont voté Macron. Voilà, ce n’est pas un mystère, ce sont des échanges que nous avions eus ensemble, avec des gens qui ont voté Benoît Hamon et des gens qui ont appelé à voter pour Jean-Luc Mélenchon et qui portent cela depuis 2014. Je le dis, parce que la diversité de cette équipe, je l’ai voulue comme ça. En 2014, je suis allée chercher des gens engagés dans les organisations politiques de gauche, socialistes, communistes, écologistes, chevènementistes, Union démocratique bretonne et beaucoup de gens de la société civile, plus que dans de nombreuses villes. Aujourd’hui, je dirige donc une équipe où des gens ont voté Hamon, des gens ont voté Macron, des gens ont voté Mélenchon…
Oui, mais moi je crois que c’est une force. Parce que Nantes est diverse.
Je suis convaincue que c’est une force, à partir du moment où nous sommes clairs sur le projet.
Oui…
C’est la vie politique. Le sujet, c’est le projet. Notre contrat est très simple : les Nantais l’ont fixé, jusqu’en 2020. Le sujet de la totalité de l’équipe, ce sont les 230 propositions sur lesquelles nous nous sommes engagés. Allons-nous les tenir ? Quand je fais le choix à mi-mandat, pour la première fois dans l’histoire de Nantes, de jouer la transparence et de dire : je mets en ligne, en open data, l’ensemble de nos actions et je dis très clairement que 44 % des propositions sont réalisées, 50 % sont engagées et 6 % ne sont pas commencées. Je suis plutôt confiante, en 2020 nous aurons tenu au moins 80 % de nos engagements, j’espère plus et nous allons y travailler. Mais pour arriver à cela, il faut que toute l’équipe, dans sa diversité politique, soit mobilisée sur le contrat nantais. Alors, est-ce que je suis Macron-compatible ? À l’évidence, mais est-ce que je suis Aymeric Seassau-compatible, à l’évidence aussi ! Et je revendique le fait de l’être avec les deux.
Sur la position que trois de mes adjoints ont prise à l’occasion de la présidentielle [il s’agit en l’occurrence d’Ali Rebouh, adjoint au sport ; d’Aïcha Bassal, adjointe à la vie associative, à l’égalité et à la lutte contre les discriminations et de Francky Trichet, adjoint à l’innovation et au numérique], ils ont effectivement voté Emmanuel Macron, mais n’ont pas fait le choix d’En marche au premier tour des élections législatives. Aucun des trois. Aucun. Par quoi ont-ils été convaincus, d’ailleurs tous les trois pour des raisons différentes ? Ils ont été convaincus par la proposition d’Emmanuel Macron, c’est là du reste que les choses vont se jouer. Entre être séduit ou convaincu par la proposition d’un homme, Emmanuel Macron, et ensuite être convaincu par ce qui devient une organisation politique qui est En marche, pour eux comme pour beaucoup de gens, il y a différentes étapes. Après, très sincèrement, ces trois adjoints font partie de ceux en qui j’ai une totale confiance, de ceux sur lesquels je m’appuie, pour lesquels je n’ai pas le moindre millimètre d’inquiétude sur le fait que nous sommes totalement en phase et sur le fait que nous serons totalement en phase en 2020. C’est très intéressant d’ailleurs, car tous les trois, mais différemment, s’inscrivent dans cette volonté qui était la mienne et qui préexistait à la situation politique que nous connaissons, d’aller vers la société civile, quand je considérais qu’on avait besoin de leurs regards.
Elle n’a pas entre 35 ans et 45 ans exclusivement….. La société civile par définition c'est tous les âges et tous les milieux sociaux… Moi, je crois à la société civile. On va chercher des gens qui ne sont pas issus des organisations politiques. Le sujet est là. Ça, je pense que c’est utile.
Bien sûr, je pense qu’on a besoin de partis politiques parce que je crois aux aventures collectives. Les partis ont beaucoup de défauts, mais c’est un cadre démocratique, on sait quel est le cadre collectif de décision, on peut le contester, on peut le critiquer, mais ce cadre existe et c’est important, même si les organisations politiques ont totalement, totalement, totalement l’obligation de faire leur mutation. On a besoin d’allers-retours. Je regarde avec beaucoup d’attention les mouvements citoyens comme les Colibris ou Acteurs du changement. Certains responsables politiques regardent cela avec un peu de… condescendance. Ce n’est pas du tout mon cas, je pense que ça fait plutôt de bien de voir des gens en quête de sens, qui se demandent comment leur projet individuel peut s’inscrire dans le collectif. La politique, c’est quoi d’autre ? C’est exactement cela. Je pense donc que l’avenir sera dans un équilibre qui s’invente, des croisements de mouvements un peu citoyens et puis d’organisations politiques.
C’est ce qui fait que nous sommes arrivés à la fin d’un cycle. En 2014, je fais le choix d’une campagne municipale sur deux pieds : une liste qui rassemble les organisations politiques et des ambassadeurs, des gens qui sont venus faire campagne. Ces gens nous disaient : ça me dit de faire campagne avec vous et pour vous, mais ne me demandez pas de prendre ma carte au Parti socialiste… Si on sort un instant des strictes considérations politiques, je crois que ça correspond à une évolution des ressorts de l’engagement. Il y a encore vingt ans, l’engagement, c’était s’engager dans une association loi 1901 ou dans une organisation syndicale. Aujourd’hui, je rencontre tous les jours des Nantais qui me disent qu’ils ont envie de contribuer à un projet mais qu’ils ne veulent pas forcément se rendre chaque mardi soir à 19 heures à l’association X ou Y. On en pense ce que l’on veut, mais on doit être capable de sentir et de s’adapter à ces évolutions des modes d’engagement. Là aussi, la vie politique et la vie de la société ne sont pas imperméables. La politique est le révélateur de ces mutations, y compris de ces envies et des modes d’engagement - et c’est tant mieux.
C’est comme ça depuis le début. Est-ce que vous pensez qu’entre des écologistes et des communistes, il n’y a pas des nuances ? Et depuis le début, je suis la garante de cette majorité mobilisée jusqu’en 2020. Je pense que c’est utile pour Nantes d’avoir dans cette équipe un Francky Trichet, un Aymeric Seassau [secrétaire fédéral du Parti communiste, adjoint à la lecture publique et aux médiathèques] et une Pascale Chiron [Europe Écologie Les Verts, adjointe au logement, à l’habitat et aux formes urbaines, aux nouvelles formes d’habiter, vice-présidente de Nantes Métropole], ça m’intéresse d’avoir les trois. Est-ce un long fleuve tranquille ? Non.
Je pense tout simplement qu’aujourd’hui il est président de l’Assemblée nationale, qu’il n’a pas ménagé ses efforts pour cela et qu’il ne manque pas de qualités pour être un bon président de l’Assemblée nationale.
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(c) Ville de Nantes |
Ce qui est essentiel, c’est la clarté des règles du jeu : que mettons-nous au débat, que n’y mettons-nous pas ? Moi je revendique qu’on ne mette pas tout au débat. Encore une fois, les 230 propositions sur lesquelles nous avons été élus par les Nantais, les finalités de ces propositions, on ne les met pas au débat.
Par exemple, les 400 places en crèche, je ne les mets pas au débat. Je considère que la finalité a été tranchée par le suffrage universel. Deuxième point, il est très rare quand vous mettez quarante personnes autour de la table, que les quarante aient le même avis. Alors ce n’est pas parce que trois personnes considèrent que leur avis n’a pas été suivi par le politique que l’avis des citoyens n’a pas été suivi. Tout l’intérêt d’une démarche participative, c’est d’essayer de construire soit du consensus, soit des explications de points de dissension.
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Le square Fleuriot en cours de démolition |
Cette expression de riverains est étonnante alors que les décisions ne sont pas encore prises et je pense qu’il y aura des surprises…
Je pense qu’il y a un vrai doute parce que c’est un tel changement ! Il faut être clair, c’est un changement de posture pour tout le monde, pour les élus, pour les services qui nous accompagnent, avec des enjeux de mutations de culture professionnelle, mais c’est aussi un changement de posture pour les citoyens ou les associations parce que ce n’est plus venir et dire au maire : je veux ça, est-ce que vous me dites « oui » ou est-ce que vous me dites « non »… Une forme de logique d’offre et de demande. Désormais, c’est venir et dire : l’objectif, c’est celui-là, l’objectif d’intérêt général, et donc réfléchissons à quel chemin prendre pour y parvenir ensemble. C’est moins confortable pour tout le monde, mais je suis absolument convaincue qu’au bout de l’histoire, c’est plus créatif et plus efficace. À quoi ça a servi ? Prenons un exemple, le débat Loire. Quand on sort du débat avec trente décisions votées à l’unanimité des maires de la métropole, au-delà des clivages politiques, et que je prends une décision importante en disant : on ne referme pas le livre, nous n’avons pas dit aux citoyens : donnez votre avis et maintenant on s’en occupe. Pour la première fois dans l’histoire nantaise, on met en place une conférence permanente sur la Loire et on dit à des citoyens, maintenant nous vous confions la responsabilité de suivre la mise en œuvre des engagements pris au terme du débat. C’est un profond changement de manière de faire, donc je pense qu’il faudra un peu de temps pour voir des résultats. Les conditions, ce sont la clarté des règles du jeu, l’honnêteté de la démarche, des professionnels formés parce que la concertation dans la sixième métropole de France, ça ne s’invente pas ça ne s’improvise pas. Ce qui me met en colère, ce sont les endroits où je vois l’instrumentalisation du processus de concertation - et j’en ai vus y compris durant la campagne présidentielle ! Ce n’est pas parce qu’on met dix personnes autour d’une table, qu’on leur demande de coller dix post-it de couleurs différentes, qu’on a fait de la participation, parce que là on a au mieux de la com, au pire de l’instrumentalisation populiste. Et donc ça, c’est quelque chose qui m’agace prodigieusement parce que ça vient décrédibiliser les endroits où on fait cela sérieusement, honnêtement, où c’est très exigeant, où à la fois ça prend un peu plus de temps mais ça en fait aussi gagner - et donc c’est bon pour l’intérêt général.
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Pierre-Jean Galdin (c)Ville de Nantes |
Je crois que la question ne se pose pas comme ça. Il y a une dynamique nantaise, pour deux raisons : parce qu’on fait plus d’enfants qu’ailleurs, mais aussi parce qu’on attire des talents, on attire une diversité de métiers, c’est-à-dire qu’on attire des cadres d’Île-de-France, mais aussi des salariés et des employés. C’est extrêmement important pour moi, je suis très attachée à ce que Nantes figure en tête des classements des villes où il fait bon vivre, mais il y a un autre chiffre qu’on ne donne pas assez : quand on prend les chiffres de l’écart des revenus entre les 10 % des foyers les plus riches et les 10% des foyers les moins riches, Nantes est la métropole la moins inégalitaire
. Juste derrière nous, il y a Rennes. Pour moi, le premier chiffre, celui des classements, il a du sens parce qu’il est au service du deuxième chiffre, celui de la métropole la moins inégalitaire. Et je suis même persuadée que ce deuxième chiffre contribue à une dynamique soutenable qui à son tour permet la qualité de vie. Donc « le million », je ne crois pas que ce soit un objectif en soi, même si je vois bien que le sujet derrière la question est celui des métropoles européennes d’envergure internationale. Le vrai sujet, c’est celui de la stratégie de différenciation. « Ce mandat sera celui de la nature en ville »
Je m’inscris évidemment dans une mondialisation ouverte. D’abord c’est un principe de réalité, ensuite Nantes est ouverte sur le monde, c’est son histoire. Mais il y a deux risques autour de cette mondialisation : il n’y a pas que le monde des gagnants et comment fait-on pour éviter ce risque absolument réel dans toutes les grandes villes françaises et européennes, celui de la standardisation – on mange tous pareil, on consomme tous pareil, on participe aux mêmes activités culturelles, et cetera. Et au-delà même, la question de l’aseptisation, au sens de l’aridité que ça provoquerait. C’est quelque chose que j’ai en tête en permanence, dans quasiment toutes les décisions que je prends, les petites comme les grandes. Quand je dis que ce mandat sera celui de l’inflexion sur la nature en ville et que Nantes a les ressources pour être une ville en avance sur ce sujet, ça fait partie d’une stratégie de différenciation. Le rapport à l’eau, le rapport à la nature, le rapport à l’éducation et le rapport à la culture, dans un monde en transition… Nous avons à Nantes tous les ingrédients si nous tendons collectivement vers cet objectif, pour lutter efficacement contre ce risque de standardisation. Ensuite, il y a la question de la croissance et du développement urbain, qui est un sujet dont je pense qu’il va monter dans les années à venir, je le pressens sur le terrain. Oui, à Nantes nous avons des objectifs importants en matière de logement, 6 000 logements par an dont 2 000 logements sociaux - et j’ai fait monter d’un cran sur le logement abordable, parce que je considérais qu’on n’y était pas et que c’était quand même une vraie réponse pour les classes moyennes. C’est nécessaire pour deux raisons : le droit au logement, c’est quand même un impératif pour chacun et si nous voulons accueillir nos enfants et petits-enfants, il faut continuer à construire. Dans le même temps, on me dit quelquefois : est-ce que vos histoires de nature en ville, ce n’est pas contradictoire avec les questions de densité ou d’intensité. Je réponds que c’est justement parce qu’on est une ville dynamique qu’on porte la responsabilité d’ouvrir des espaces de respiration. On est au tout début des inflexions que j’ai données, on en verra les résultats dans trois ou quatre ans. Deux exemples dans ce rapport entre nature en ville et urbanisation : dans l’élaboration du PLUM [Plan local d’urbanisme métropolitain], j’ai demandé – et nous serons la seule ville à le faire avec Paris – à introduire ce que certains appellent un « coefficient de biotope » et d’autres un « coefficient de nature en ville ». C’est assez simple, dans le cahier des charges donné à nos partenaires promoteurs, on précise que nous avons un prorata d’espace de nature en ville. Ça signifie que dans la fabrique même de la ville, dans son cap stratégique décliné dans l’outil réglementaire que l’on se donne, on intègre cette dimension-là. Deuxième inflexion, la nouvelle délégation que j’ai mise en place en 2014 autour des plans paysage et patrimoine par quartier, confiée à Cécile Bir, une macroniste dans la galaxie que l’on évoquait précédemment [elle est aussi assistante parlementaire à temps partiel de François de Rugy NDLR]. Un plan paysage et patrimoine par quartier, c’est quoi ? C’est l’idée de se dire qu’à Nantes nous disposons de grands patrimoines comme la cathédrale, de grands paysages, comme avec l’étoile verte, mais si on veut lutter contre la standardisation, il y a aussi cet enjeu du petit patrimoine ou du petit paysage remarquable dans chaque quartier qui fait singularité, qui fait charme, qui fait douceur de vivre. L’expérimentation a été lancée dans quatre quartiers, elle a fonctionné avec la réalisation d’atlas sensibles par des groupes d’habitants, assistés par un paysagiste employé par la Ville. Je crois beaucoup à cette démarche. L’étape dans laquelle nous sommes aujourd’hui, consiste à regarder comment faire figurer ces éléments au PLUM, afin que nos partenaires et investisseurs sachent demain que dans le cahier des charges de la métropole, ça compte. Ces deux inflexions sont nées de cette volonté d’avoir une capacité de logement pour tous. Mais le développement pour le développement, ce n’est pas le modèle de demain. Donc nous devons avoir aussi la capacité à créer des espaces de respiration, à poser les questions de maîtrise, de qualitatif, cette idée que nous réinventons Nantes tous les jours et que des citoyens sont prêts à s’y embarquer et que ce ne sont pas que de sujets techniques, que ça nourrit leur rapport direct avec leur ville… Ensuite, j’ai fait modifier deux dossiers de manière profonde : le projet de la gare tel qu’il était initialement conçu et la suite de l’histoire de l’Île de Nantes. Quand j’ai vu les esquisses du projet de la gare, j’ai dit que deux choses ne me convenaient pas : un, le lien avec Malakoff, ce n’était pas possible qu’on vienne de faire dix ans de renouvellement urbain et qu’on bâtisse la gare en tournant le dos à cette partie de la ville ; deux, comme je suis sûre que le Jardin des plantes est un des atouts nantais, à l’issue d’une discussion de couloir avec le directeur du jardin et quelques autres, on a fini par se dire qu’il y avait là un enjeu formidable : comment pourrait-on transformer ce jardin en un gigantesque hall à ciel ouvert de la gare ? Ça part vraiment comme ça, je fais modifier le programme et quand on verra émerger tout cela en 2019, on aura sans doute le premier projet concret où les traductions des inflexions que j’ai voulu mettre en avant en 2014 seront visibles.
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(c) Ville de Nantes |
C’est la première branche de l’étoile verte. Elle démarrera là, car une gare, c’est souvent la première image que l’on a d’une ville. Ses branches sont fixées sur les affluents de la Loire, il y en aura une le long de l’Erdre, une le long de la Sèvre, une le long de la Chézine, et cetera. Cette première branche se poursuivra jusqu’à l’Arbre aux hérons, jusqu’au parc des Oblates dans le Bas-Chantenay. L’étoile verte, c’est un schéma à quinze ans, à vingt ans peut-être. Ça part des atouts nantais. Nous sommes une des villes qui disposent le plus de squares, de jardins, de parcs, d’un super services des espaces verts avec le Seve… On se dit que si on veut passer un cap, le paysage est un outil d’attractivité et un élément de la qualité de vie au quotidien. Quelque chose qui fait rayonner la ville et qui est utile, agréable, positif pour les Nantais.
Clairement. On ne fera pas tout dans le mandat, évidemment, mais j’ai envie que les Nantais puissent commencer à saisir, à comprendre, à deviner où on veut aller et donc la première branche, ce sera le Jardin des plantes, la gare, en continuité avec le miroir d’eau, Feydeau-Commerce, avec la consigne passée à la paysagiste Jacqueline Osty, Petite-Hollande, quai de la Fosse et la Carrière Miséry avec cette idée d’un jardin extraordinaire qui accueillera un arbre extraordinaire. Dernier mot, qui n’est pas sans lien avec nos débats sur la social-écologie : la nature en ville, ce n’est pas juste pour faire joli, ce n’est pas décoratif… Aujourd’hui quelques villes se positionnent à l’avant-garde sur cette question : si on veut être les acteurs de la transition écologique, mettre de la nature en ville, c’est une manière d’être acteur. Moi, ce que j’aime dans ce sujet, c’est qu’en fait les gens le savent au quotidien. Récemment, j’ai rencontré une mamie, on discute et avec ses copines elles me disent : « Dans cette ville, il va falloir plus d’arbres ! ». Je leur demande pourquoi. « Vous avez vu la chaleur qu’il fait ? Nous, quand on veut un peu de fraîcheur, on sort de nos appartements et on va sous les arbres. » Quand on sait que le climat va augmenter de deux ou trois degrés, cette question des îlots de fraîcheur dans les villes, un certain nombre d’habitants la pressentent, la ressentent. Est-ce que cette dame se disait : Nantes doit intégrer la transition écologique et donc faire de la nature en ville un des vecteurs d’inflexion du mandat pour être une ville pionnière de la social-écologie ? Non, je ne crois pas. Par contre, dans son vécu, dans son quotidien, elle ressentait et elle expérimentait pourquoi c’était bon pour elle et donc bon pour les autres et pour la ville.
Exactement. Ils pourront aussi profiter de la cascade du jardin extraordinaire.
Pour moi, la singularité nantaise demain, je le redis, c’est la culture, l’éducation, la nature en ville et être en mouvement dans les transitions. Donc ce n’est pas l’un à la place de l’autre.
Prenons le grand Musée d’arts, a-t-il besoin de se croiser ? Non et je l’ai vu comme cela. Y a-t-il des croisements entre nature et culture, oui, bien sûr. Nantes a grandi avec la culture et la culture a grandi à Nantes, ça, c’est notre acquis collectif, le lien est profond, ancré dans l’esprit-même de la ville, au-delà des choix de la municipalité. La culture est par essence en mouvement. On peut avoir eu un projet culturel brillant durant les cinq, les dix ou les quinze dernières années : le projet culturel d’aujourd’hui et de demain, ça ne peut pas simplement être la reproduction du projet d’hier, sinon la capacité de la culture à interpeller, à aller chercher, à bousculer le conformisme, à parler aux émotions et à la part sensible des hommes et des femmes. Le projet d’hier, on n’y est plus et je le dis. Je suis désolée, mais il y a dans ce pays un retour en arrière sur ces sujets. Des collectivités, pas loin de chez nous, considèrent que le rôle du politique est de dire ce qui est beau ou ce qui est bon et qui font des choix de subvention en fonction de cela. Donc quand en septembre 2016, j’annonce aux acteurs culturels la sanctuarisation du budget, ce qui n’est pas une fin en soi mais un moyen pour dire que la culture est prioritaire, et que je mets un point d’honneur à dire que le politique ne rentre jamais dans la liberté de création et de diffusion, c’est une vraie position politique. Elle peut nous paraître évidente à Nantes, mais regardez ce qui se passe dans plein d’autres régions ou d’autres grandes villes françaises depuis quelques années, où il y a je crois un vrai retour en arrière. Ensuite, il y a ce qu’on fait des projets et je vais vous parler du Musée d’arts. Ce grand musée, c’est une décision du dernier mandat. Je pense que ce sera un élément extrêmement important dans le projet culturel nantais. 16 000 personnes le week-end de sa réouverture ! C’est aussi un projet que nous avons fait évoluer. Quand vous regardez l’accrochage, ça peut paraître anecdotique, mais quand vous voyez le choix dans certaines salles de faire coexister des œuvres contemporaines et des œuvres classiques, ce n’est pas le cas dans tous les musées de France ! C’est le choix audacieux d’une équipe et d’une directrice que j’ai choisie. La réussite d’un tel musée, d’accord c’est une décision politique, d’accord c’est une vision, d’accord ce sont des moyens, mais la réalité quand même ce sont d’abord les hommes et les femmes qui font vivre ce projet et auxquels le politique accepte de faire confiance. Ensuite, on prend des décisions. Autre exemple d’inflexion sur le musée : quand je dis aux maires de la métropole que je leur propose qu’un certain nombre d’équipements culturels deviennent métropolitains, je ne vais pas vous dire qu’au début j’ai rencontré un enthousiasme démesuré… Quand j’ai ajouté, que ce serait gratuit pour l’ensemble des scolaires des vingt-quatre communes, alors ça a du sens. Ce n’est plus une décision institutionnelle. On revendique l’excellence de ce musée et on revendique la gratuité, parce que ça fait partie de l’éducation artistique et culturelle.
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(c) D.R. |
Je reprends l’exemple du musée, le choix du projet, le positionnement du projet, l’audace du projet artistique et des choix éditoriaux, je ne considère pas que quand on fait cela, on vit sur des acquis. Le projet du musée tel qu’il est aujourd’hui, ce n’était pas le projet d’hier pour plein de raisons, ça n’est pas vrai. Je suis ferme là-dessus, car un projet culturel ce n’est pas qu’un bâtiment. Ensuite, sur la question de l’étincelle, du grain de folie, est-ce que je considère qu’on est au bout ? Non. Récemment je suis passée voir les acteurs d’un club-concert de l’Île de Nantes. La question que je suis venue leur poser, c’était : vous avez un projet qui a son identité culturelle, pas institutionnalisé, vous avez une certaine expérience, que pouvons-nous faire ensemble ? Pas comment la mairie vous récupère pour vous inscrire dans tel ou tel groupe de travail, mais c’est quoi le projet que vous portez ? Un maire moderne, ce sont aussi les conditions qu’il crée pour que les autres fassent, et là, on est typiquement là-dedans. La culture à Nantes demain, c’est aussi bien le Musée d’arts qu’un lieu comme celui-là. Au début du mandat, les services de la mairie viennent me voir et me disent : « Madame le maire, il faut fermer les ateliers de Bitche [lieu artistique autogéré dans le quartier du Champ-de-Mars], ce n’est plus possible. » Je viens d’être élue maire et demande aux services s’ils veulent que je me fâche avec les acteurs qui y sont, alors que je prône le fait que la culture s’écrit au pluriel et que c’est un des lieux, on est d’accord ou pas, on aime ou pas, où il y a un peu d’émergence, où il y a un peu d’alternative, où il y a un peu de contre-pouvoir. Donc je dis non. On les rencontre, ce n’est pas forcément simple de réinstaller du dialogue et finalement demain la ville met 450 000 € pour les réhabiliter parce que j’ai fait le choix de considérer que notre responsabilité c’était soit de prendre une mesure administrative et de fermer Bitche, soit de poser un acte politique, culturel. Pour autant, est-ce qu’en faisant cela on répond à la question ? Non, nous sommes au début, la deuxième moitié du mandat doit nous permettre d’accélérer et même d’aller au-delà. Encore un exemple. La Maison Fumetti, ce lieu dédié à la BD installé dans la Manu, c’est un projet que nous n’avions pas en tête au préalable. Il n’était pas dans mon programme. Mais il est révélateur de notre méthode. Au départ, il y a des acteurs nantais de la BD, plutôt alternatifs, qui ont une idée. Ils rencontrent l’adjoint à la Lecture publique, Aymeric Seassau, qui a une intuition… Il comprend que dans ce projet il y a un truc. Il vient me voir, nous en parlons, je lui donne mon accord à la condition qu’il embarque les services de la Ville dans l’aventure. À l’arrivée, non seulement le projet voit le jour, mais il rencontre un projet de service public. Il relève de notre singularité qui, dans la manière dont il a été construit, est né des acteurs, démontre que le service public est aussi capable d’agilité et est réalisé dans une totale sobriété financière.
« Bien sûr qu’il y aura un après Jean Blaise… »
Je crois que oui. Ce n’est pas une fin en soi, ça ne suffit pas. Mais j’ai entendu durant tout le quinquennat de François Hollande des acteurs culturels qui se plaignaient de n’avoir aucun énoncé du récit national de la culture. J’ai donc considéré qu’à l’échelle de la ville, essayer d’en proposer un, c’était déjà une première étape même si ça ne répondait pas à tout. Cela a aussi permis à des acteurs de se rencontrer. Car on parle de qui quand on évoque la culture à Nantes ? Il y a des acteurs qui se connaissent parfaitement, puis il y a aussi des acteurs qui ne sont dans aucun réseau. Ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir parler à tout le monde, avec tout le monde. Ensuite, quand vous annoncez que vous sanctuarisez le budget de la culture, si vous voulez faire des choses nouvelles parce que la culture ce n’est pas que la reproduction, ça veut dire qu’à un moment, il y a un principe de réalité, ça signifie qu’il faut assumer que certains choses s’arrêtent. La culture est certes vivante, certes en mouvement, mais si j’étais un peu taquine je dirais que je ne suis pas sûre qu’elle échappe totalement, dans sa diversité, à certains conservatismes ! Dans certains endroits où depuis vingt-cinq ans on est habitué à avoir la même subvention pour le même projet, et qu’on vient réinterroger ce projet, ça peut aussi provoquer quelques discussions… Or je pense qu’il faut le faire. Je crois aussi qu’on a quelques formidables passeurs ici, des graines qui vont continuer à germer.
Bien sûr qu’il y aura un après Jean Blaise. Moi, je ne suis pas très adepte du copier-coller. La seule question qu’on doit se poser est-elle de remplacer une personne par une seule personne ? Je n’en suis pas sûre. On est en 2017, la ville a grandi, a bougé, les enjeux culturels bougent aussi. Est-ce que ce ne serait pas un peu une solution de facilité…
Absolument, donc ça fait partie des sujets.
C’est un vrai point de vigilance permanent. Dans plusieurs projets de la Ville qui m’ont été présentés récemment, pour lesquels la seule possibilité de contact était une adresse mail, j’ai systématiquement fait ajouter un numéro de téléphone. Ça peut sembler un détail, mais pour moi c’est absolument déterminant. Ensuite, le numérique ne constitue pas une fin soi, c’est un moyen. On le met au service d’un projet de patrimoine, on le met au service d’un projet culturel, au service du projet éducatif… Le numérique, on s’en empare pour le mettre au service de nos convictions et du projet que l’on porte pour le territoire. C’est aussi un enjeu économique et donc un enjeu d’emploi. Quand Nantes / Saint-Nazaire est la métropole qui, en France l’année dernière, a la meilleure croissance d’emplois dans le numérique, c’est positif. En sachant aussi qu’il s’agit d’emplois de différents niveaux de qualification. Je suis très offensive sur le sujet du numérique. J’y suis entrée plus par la question des transitions au sens large que par la seule question du numérique, par exemple la convergence entre la transition écologique et la transition numérique. Mais je ne suis pas une béate du numérique, je pense qu’il y a de vraies questions derrière, comme celle de l’éducation aux réseaux sociaux de nos enfants, la question de la liberté des données individuelles… C’est un sujet auquel nous devons réfléchir, parce que si on ne le fait pas, nous subirons. Et moi, j’ai envie qu’à Nantes nous soyons acteur de cette réflexion. Prenez la Digital Week, qui a beaucoup évolué depuis sa première édition. L’an passé, des acteurs ont tenu des débats contradictoires. Je pense que l’on atteint une forme de maturité où l’on est capable d’être très engagé et d’avoir une lecture critique. Les deux sont utiles pour Nantes.
Une réflexion émerge. Je connais des acteurs du numérique qui s’interrogent aujourd’hui sur le rapport au rythme, sur la durabilité, les rapports aux données. C’est quelque chose qui bouge beaucoup, on est au début de cette réflexion critique.
Bien sûr. Mais en même temps, c’est la question de la capacité à être acteur, ça fait partie des mutations et des transitions. Soit on regarde le train passer et on le subira, soit on se dit qu’à Nantes, la transition numérique, nous voulons lui donner cette couleur-là, nous voulons lui donner cette tonalité-là. Quand on fait la grande école numérique à Nantes, une des premières en France, qui touche des jeunes sortis du système scolaire sans qualification, je considère que nous mettons le numérique au service de la lutte contre les inégalités et au service de l’emploi. Les transitions, écologique comme numérique, ne sont pas vertueuses en soi, c’est ce qu’on en fera qui les rendront vertueuses et positives pour la société. Nous avons également ici une qualité de l’écosystème numérique qu’il faut saluer. Quand Axelle Lemaire [secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation de 2014 à 2017] est venue à Nantes remettre le label French Tech, elle m’a dit : c’est quand même étonnant, dans les autres villes les candidatures sont portées soit par l’université, soit par le politique, soit par l’économique, soit par les start-ups… Vous êtes la seule ville où cette candidature est pensée conjointement. Pour moi, ce n’est pas le hasard, ça fait partie de l’ADN nantais.
« Le cœur de la métropole, demain, c’est un triangle entre l’Île de Nantes, la Zac des Isles à Rezé et le Bas-Chantenay »
La baisse de la dotation de l’État et la sobriété des collectivités locales nous mettent face à un principe de réalité. Je suis convaincue de la nécessité de cultiver des logiques public-privé. Je crois vraiment que Nantes est une terre d’entrepreneurs et que des entrepreneurs sont intéressés par ce territoire. Nous devons cultiver cette capacité à faire. Enfin, je suis plutôt quelqu’un qui fédère que quelqu’un qui oppose : je crois que nous avons à progresser dans la création de liens réciproques entre le public et le privé, y compris dans la connaissance des enjeux et des contraintes des uns et des autres.
Un mot sur les financements de l’Arbre aux hérons : c’est 35 millions d’euros et la métropole y mettra 12 millions. Le parking-relais que nous allons construire à Bouguenais coûte aussi 12 millions d’euros. Quelque chose me dit que dans les dix ans qui viennent, nous aurons beaucoup plus de débats autour de l’Arbre aux hérons qu’autour du parking-relais de Bouguenais… Deuxième exemple, les deux écoles votées à l’été au conseil municipal à Nantes représentent plus de 30 millions d’euros. J’espère vraiment que l’on parlera autant de ces deux écoles que de l’Arbre aux hérons. Dernier exemple, la rénovation de l’usine de l’eau à Mauves-sur-Loire engagée dans ce mandat, c’est 80 millions d’euros. J’espère aussi qu’on parlera autant de ce choix d’une eau de qualité pour tous les ménages des vingt-quatre communes de l’agglomération. Ce projet d’Arbre aux hérons a bougé. Il est révélateur de choix de fond et d’une méthode. D’abord, durant la campagne des municipales, j’avais affirmé que si ce projet devait se faire, il y aurait forcément de l’argent privé et qu’il ne se réaliserait pas dans ce mandat. Quand François Delarozière et Pierre Orefice, les deux porteurs du projet, sont venus me voir, je leur ai dit qu’il fallait de l’argent privé et que je ne croyais pas à l’Arbre aux hérons sur l’île de Nantes où ils voulaient initialement l’installer, parce que pour moi, ce serait Nantes des années 1990, alors que mon sujet, c’est Nantes des années 2030. Ce que nous réalisons du point de vue urbain, c’est passer du moment où on invente le cœur de la ville de Nantes au moment où on invente le cœur de la métropole. Ce cœur de la métropole, demain, c’est ce triangle entre l’Île de Nantes, la Zac des Isles à Rezé et le Bas-Chantenay. La vertu des Machines, c’est d’avoir à un moment un projet artistique qui révèle un projet urbain, et je veux que ce projet urbain ce soit plutôt celui de demain que celui que les Nantais ont déjà adopté.
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(c)Ville de Nantes |
Vous aurez compris également que le cœur de la métropole de demain fait une place à la nature en ville et rompt avec la ville minérale. Je voulais que ce projet révèle cette première branche de l’étoile verte qui sera une incarnation de la ville végétale. L’autre inflexion importante, c’est le rapport à la Loire : avec ce cœur de la métropole, nous renouons pour la première fois avec le fleuve et je voulais que le projet révèle ce lien retrouvé. Je passe sur les discussions que nous avons pu avoir, certaines vives avec les portes qui claquent, la capacité à tenir aussi une certaine fermeté, ça compte quand on est maire d’une grande ville… Et j’ai proposé à François Delarozière et Pierre Orefice, d’aller voir la Carrière Miséry. Ils sont revenus avec des étoiles dans les yeux, parce que ce lieu est magique. C’est le Nantes du surréalisme, c’est l’endroit de Jules Verne, il y a une dimension onirique… Et donc le projet est devenu celui d’un arbre extraordinaire dans un jardin extraordinaire. Ensuite, sur la méthode, un tel projet a des bénéfices s’il sert à révéler des aspects du territoire. Ce n’est pas simplement une question de partage des financements entre public et privé. C’est se demander comment cette nouvelle aventure, complètement intégrée à la stratégie de différenciation et de singularité, met en mouvement les gens. Comment demain nous aurons la Mutualité qui financera l’accessibilité du projet, des PME qui ont financeront des branches, des acteurs de l’Institut de recherche technologique Jules-Verne, de l’industrie de demain, qui auront utilisé des branches pour démontrer la validité de leur processus de recherche et d’innovation… Alors nous aurons fait de ce projet un démonstrateur des talents de ce territoire. La question du public-privé, ce n’est donc pas simplement la question de répartition du financement. C’est comment sur des projets d’intérêt général du territoire, qui participent à sa dynamique, chacun est dans son rôle et dans ses responsabilités, sans qu’il y ait confusion. Le rôle du politique n’est pas celui du privé et réciproquement. Ce projet s’inscrit globalement dans celui du Bas-Chantenay, que l’on a confié à un urbaniste, Bernard Reichen, et qui reste piloté par la métropole parce que nous sommes les gardiens de l’intérêt général.
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La carrière Miséry, futur site du Jardin extraordinaire |
Non, parce que l’Arbre aux hérons s’inscrit dans un projet d’opération, le Bas-Chantenay, et nous n’avons pas fait le choix de confier l’ensemble du Bas-Chantenay à tel ou tel acteur. Nous y avons un projet : renouer avec la Loire, assumer qu’il y ait un pôle économique, réfléchir à un pôle nautique et, à l’intérieur de ce projet, il existe certaines dimensions dont on se dit que ça a du sens de les partager entre public et privé.
On ne fait pas qu’y rêver, on y réfléchit déjà. C’est dans les consignes passées aux équipes.
C’est un sujet majeur. Du côté de la Ville, notre sujet est la maîtrise qualitative. Oui, on construit des logements à Nantes et c’est nécessaire. Nos paramètres sont : un, comment on maîtrise ; deux, le plan paysage et patrimoine et les coefficients de nature en ville. C’est quelque chose que je veux prendre à bras le corps.
« Le Carré Feydeau a été une erreur, je le dis sans ambiguïté »
D’où l’intérêt d’anticiper. Quand j’évoque le coefficient de nature en ville, c’est dans les règles du jeu de départ.
Il faut le dire simplement, le Carré Feydeau a été une erreur, je le dis sans ambiguïté. Nous nous sommes trompés sur les personnes auxquelles nous avons confié les clefs du projet. Si commercialement ça ne marche pas, au-delà même des questions architecturales qui sont un sujet en soi, c’est très simple. Je voyais que la commercialisation de Feydeau n’avançait pas et comme je veux donner un coup de pouce et d’accélération au centre-ville, ça me posait évidemment un problème difficile. J’ai fini par faire le tour des commerçants de la place et par leur poser la question. Leur réponse a été simple : ça ne pouvait pas marcher à cause de la hauteur des loyers commerciaux. Donc on en est à tirer les leçons de nos erreurs. Je crois qu’un politique moderne doit aussi pouvoir dire : on s’est planté - et là, sur Feydeau, on s’est planté. C’est une réalité, nous en tirons les leçons.
Nous avons posé, avec les acteurs économiques – là aussi, la manière de faire, le style, ce n’était pas seulement une réunion avec quelques élus et des techniciens dans un bureau – une stratégie d’attractivité du centre. Nous avions un diagnostic, travaillé d’ailleurs avec le CINA, qui montrait qu’à Nantes il y avait un déséquilibre entre le centre-ville et la périphérie. C’est vrai dans un certain nombre de villes françaises, mais Nantes fait partie des villes où l’enjeu est important. Nous avons réfléchi à des angles différents : sécurité, propreté, stratégie de communication et, évidemment, stratégie de commercialisation. À partir de là, nous avons décidé de trois axes pour renforcer le commerce de centre-ville : le premier, pas de mystère, si on veut donner suffisamment de force et éviter des épisodes qui datent d’il y a dix ans comme l’Apple Store dont on me parle encore [implanté dans la galerie commerciale du centre Atlantis à Saint-Herblain et non dans le centre de Nantes], comme quoi il y a des sujets qui marquent !, il faut se donner les moyens d’avoir un potentiel commercial suffisant dans le centre. Cela a été le point de départ. Le deuxième, j’ai dit qu’il n’y aurait pas de centre commercial sur la Petite-Hollande, car ça ne correspond pas à la vision de la Ville. Par contre, si on dit que plus de potentiel commercial est nécessaire et qu’on ne met pas de centre commercial sur la Petite-Hollande, il faut ouvrir de nouveaux espaces commerciaux. Ce qui fait que quand on a révisé le Plan de sauvegarde du patrimoine, on a ouvert le potentiel de commercialisation et donc à l’urbanisation commerciale des espaces qui auparavant ne l’étaient pas. C’est le troisième axe. Le débat sur le square Fleuriot, c’est cela : on a ouvert le square à la commercialisation et il se trouve qu’on a une enseigne très qualitative, un fort potentiel de locomotive pour la diversité des commerces de centre-ville. Elle peut être utile.
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Le square Fleuriot, début des travaux |
En ce qui concerne le centre-ville, des espaces commerciaux peuvent muter. Il faut encore sortir du prisme uniquement quantitatif. La question n’est pas seulement de se demander combien de mètres carrés sont disponibles, même si c’est important, mais quels types de commerces nous voulons. Et là, ça renvoie à la question de la non-standardisation : comment fait-on pour permettre que ça ne soit pas que des chaînes qui s’implantent ? Sur la périphérie, je ne suis pas contre. La règle que je pose, c’est : les enseignes qui peuvent venir en centre-ville ou en périphérie, j’assume préférer qu’elles viennent dans le centre. C’est un choix politique, stratégique. Ensuite, certaines enseignes ne viendront jamais dans le centre-ville : du coup, je préfère qu’elles viennent sur la métropole plutôt qu’à Angers et donc la discussion que nous avons, avec le centre commercial Paridis par exemple, c’est de dire d’accord à certains projets à la condition que ça ne fragilise pas le centre, que les enseignes accueillies nous mettent dans une position concurrentielle avec d’autres villes.
« Nous sommes au début d’une nouvelle étape dans l’histoire Nantes – Saint-Nazaire »
Je pense que nous sommes au début d’une nouvelle étape de l’histoire. Avec David Samzun, nous avons fait de l’alliance entre Nantes et Saint-Nazaire un vrai choix, avec des projets. D’ailleurs ce sujet fait très peu débat politiquement à Nantes.
À Nantes, c’est presque un non-sujet dans les débats politiques. À Saint-Nazaire, ce n’est pas le cas, c’est un sujet politique.
Nous allons faire monter ce sujet, pas tant comme débat que comme sujet d’intention. Je veux en faire un des éléments du mandat et David Samzun fait partie des rencontres politiques intéressantes, sur le fond, sur le rapport à la ville, sur une certaine manière de faire de la politique… Ça aide aussi quand une certaine fluidité politique rencontre des intérêts de territoire. Et ce même si nous avons bien entendu des désaccords sur certains sujets.
D’abord, nous avons posé ensemble un acte très important en créant l’agence de développement économique Nantes/Saint-Nazaire. Qu’avons-nous dit à son lancement ? Nous avons décidé qu’en ce qui concerne le développement international, Nantes et Saint-Nazaire doivent le faire ensemble. Ça suffit de travailler chacun dans son coin, on unit nos forces et on a une équipe qui bosse et pour Nantes et pour Saint-Nazaire. C’est très important pour l’état d’esprit et les résultats ont suivi puisque l’agence a fait le meilleur résultat des agences françaises sur l’implantation des entreprises en provenance de l’extérieur. Sur le fond, nous avons aussi posé une évolution qui est sensible mais peut-être pas encore perceptible. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas simplement que deux grandes villes travaillent ensemble, mais comment Nantes et Saint-Nazaire travaillent ensemble au service du territoire. Notre sujet, c’est donc deux grandes villes et l’hinterland. Un projet très concret a démarré, celui des belvédères. Nous proposons à plusieurs communes de travailler sur le rapport aux espaces naturels, le rapport à l’eau et le rapport à la culture. Cinq belvédères seront édifiés en 2018 au bord de l’estuaire qui permettront d’incarner le lien Nantes/Saint-Nazaire. Un dernier exemple : nous organisons prochainement à Paris, avec Rennes, un salon sur le numérique. Sur des segments sur lesquels nous avons besoin de recruter, nous cherchons ensemble de l’écosystème. Le sujet, ce n’est donc pas que la coopération institutionnelle, c’est la coopération sur des projets.
« Nantes au niveau national… On nous attend, on nous regarde »
Je reviens sur une question importante, quand vous me demandiez ce qu’a changé la fonction de maire chez moi. J’ai évoqué le rapport aux gens, ce contact encore plus direct avec les Nantais dans leur diversité. Un deuxième point, c’est le regard sur Nantes au niveau national. On nous attend. On nous regarde, sur ce que nous pensons, sur des sujets de fond ou politiques. Je le mesure concrètement lors de mes interventions nationales, à France urbaine5 par exemple ou lorsque je préside le Club des métropoles, auparavant présidé par Alain Juppé et Gérard Collomb, sans oublier la présidence d’Eurocities. Je reçois aussi des appels de mes collègues, par exemple sur l’éducation, sur le dédoublement des classes en ZEP…
Non, ce n’est pas seulement ça. Plus personnellement, ce qu’il y a derrière tout cela, c’est la dimension de représenter Nantes, d’incarner la ville ailleurs. Entre le savoir intellectuellement et le vivre… ce n’est pas la même chose !
Je ne veux pas me montrer désobligeante, mais je crois que nous avons vraiment des questions plus importantes sur le port. D’abord, dans ce pays, il n’existe aucune stratégie portuaire et c’est un vrai problème. Qu’est-ce que l’État français pense sur les ports ?
Absolument, c’est d’ailleurs un échange que j’ai eu avec le Premier ministre à l’époque où il était maire du Havre. On se retrouve un jour dans un débat, puis on discute et je lui demande : et vous, sur le port, comment ça se passe au Havre ? Nous avions un peu l’impression que le port de Nantes n’était pas totalement intégré à la stratégie nationale. En fait, on s’est rendu compte que non, que la réalité c’était l’absence de vision stratégique de l’État sur la question portuaire. Localement, l’enjeu est de s’interroger sur le modèle du port de Nantes : nous avons des enjeux de diversification des activités du port, de son fonctionnement, de son hinterland, enfin nous avons des enjeux de gouvernance. Vous pouvez le demander à toutes les collectivités, nous voyons des représentants de l’État se succéder dans cette instance, nous posons des questions et… pas de réponses ! Alors la question de la localisation du siège, pour faire quoi ? Je pense que le fait d’avoir un port multi-sites dans notre histoire, à ce stade c’est plutôt une force. La question est plutôt : comment travaillons-nous là-dessus ? Et puis je crois assez à cette idée de l’histoire des villes, à l’esprit des villes. Le fait que Nantes soit un port, soit une terre d’embouchure et d’ouverture, ça a participé à faire ce que nous sommes aujourd’hui. Le rapport au port, je ne le pense pas que dans sa dimension portuaire et économique, mais aussi dans sa dimension culturelle, au sens de notre identité.
On se pose des questions sur la centrale de Cordemais. Au dernier conseil de surveillance du port, la centrale a été évoquée. Il faut concilier les enjeux d’emploi et les enjeux de transition écologique, ce sont de vrais sujets pour demain.
Ce qui va se passer sur la centrale aura un impact important sur ce qui va se passer sur le port. Je pousse à aller au bout de l’expérimentation sur les solutions de transition écologique qui ont été proposées. Qu’on aille au bout de la biomasse, est-ce que ça marche ou pas, à quelles conditions...
La question qui se pose est celle des parcours pour les étudiants. Nous montons un projet avec le maire de Saint-Nazaire et Pierre-Jean Galdin, le directeur de l’École des Beaux-arts, sur le futur site de l’Île de Nantes, en se disant que la première année pourrait se dérouler à Saint-Nazaire… Ça, c’est l’avenir. Il y a une stratégie partagée, sur les atouts de chacun et ça vient nourrir une stratégie d’enseignement supérieur et de recherche.
La politique sportive que je défends n’est pas différente des autres politiques. À chaque fois que je prends une décision, j’essaie de me dire comment le rayonnement est au service du vivre-ensemble et comme le quotidien vient nourrir le rayonnement. J’assume sans difficulté une politique sportive de haut niveau. Pour la première fois, et c’était d’ailleurs une recommandation du Conseil de développement depuis plusieurs années, le sport de haut niveau est devenu une compétence métropolitaine. Là encore, le sujet n’est pas institutionnel. Nous nous organisons pour la première fois pour avoir une stratégie sportive de haut niveau : quelles salles, pour quoi faire, plusieurs disciplines qui se trouvent aujourd’hui au plus haut niveau, en particulier dans les sports collectifs, avec des résultats exceptionnels cette année, du H à L’Hermine. Je considère que ce sport de haut niveau fait partie du rayonnement d’une métropole. Ça signifie quoi ? Je demande souvent aux gens partis en vacances ce qu’ils répondent lorsqu’on leur demande où ils habitent. Quand ils répondent « à Nantes », ça rebondit aussitôt sur les Canaris. Le rayonnement, c’est ça. Comme un marqueur d’émotions collectives partagées, de réussites et d’adrénaline…
Aussi, ça fait partie de toutes les aventures collectives ! Dans le même temps, en parallèle et en complément de ce que l’on fait en sport de haut niveau, nous développons une vraie logique de sport pour tous et de sport du quotidien. J’y mets un point d’honneur. C’est le fruit de mon histoire personnelle, mes premiers engagements ont été dans la vie associative et dans le domaine sportif, j’en ai gardé la conviction que nos enfants sur un terrain apprennent bien plus que du sport. Ils apprennent le respect des règles, l’initiative personnelle, le jeu, l’équipe, le respect de l’arbitre… C’est aussi lié à mon parcours dans les quartiers populaires. J’ai constaté qu’un certain nombre d’ados et de jeunes des quartiers en rupture avec toutes les institutions, famille, école et cetera, maintenaient encore un rapport de confiance avec un adulte, souvent l’entraîneur du club de foot ou du club de boxe. Pour la société, c’est précieux. Au tout début du mandat, j’ai fait voter une subvention pour le club de boxe d’un quartier, un élu de droite intervient, sur le mode : alors maintenant, on subventionne un club de boxe au titre des actions éducatives… Autant vous dire que je me suis empressée de l’inviter à aller faire un tour dans le quartier, parce que ça dénote une méconnaissance de ce qu’est un quartier populaire, comment ça fonctionne, du fait que nous pouvons faire confiance à une partie de cette jeunesse… Ce lien entre le sport pour tous et le sport de haut niveau fait partie des inflexions, il a même surpris au début du mandat quand j’ai dit que le sport comme la culture participe du rayonnement de la ville. J’ai bien senti que dans certains endroits, ça pouvait surprendre, mais en même temps, de belles choses se jouent là.
J’aime les sports collectifs et le FCN fait partie du patrimoine nantais. On voit bien le lien affectif avec le club. Il garde une dimension populaire et j’y suis sensible.
Le président Kita est d’abord un entrepreneur. On est d’accord ou pas, mais personne ne pourra jamais lui retirer qu’il a investi son argent dans le club, et beaucoup investi. Donc j’ai plutôt envie de le formuler sous forme de vœu : toute grande aventure est collective, plus il y aura une capacité à partager le dessein, les ambitions, mieux ce sera. Je suis les réactions sur les réseaux sociaux et je vois comment le recrutement du dernier entraîneur, l’Italien Claudio Rainieri, fait bouger les choses. Tant mieux. Tout ce qui est bon pour le club est bon pour la ville et ce qui est bon pour la ville est bon pour le club. J’ai des échanges plus que cordiaux avec M. Kita et son fils. C’est un personnage…
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Aude Amadou, députée En Marche (c) Ville de Nantes |
Le renouveau, c’est déterminant, j’y crois, j’y suis attaché, c’est ce que j’ai commencé à impulser à Nantes depuis 2014. Donc le renouveau, oui. Le renouveau des visages, oui. Le renouveau des parcours, oui. Mais à condition qu’il y ait le renouveau des idées.
« Il n’y aura pas de hausse des impôts locaux à Nantes »
Autre question, posée par Julien Bainvel, élu d’opposition à Nantes : comment la maire de Nantes peut-elle affirmer que la promesse de stabilité fiscale a été tenue, alors que les Nantais ont vu leur taxe foncière exploser tout comme leur taxe d’habitation ?
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Julien Bainvel, conseiller municipal d'opposition LR |
Il faut être très clair là-dessus. J’invite celles et ceux qui s’interrogent sur ce sujet à relire la lettre que j’ai adressée aux Nantais durant la campagne municipale, c’est écrit en toutes lettres. Je vais être très directe : s’il n’y avait pas eu baisse des dotations de l’État, il n’y aurait pas eu d’augmentation de la fiscalité de la métropole. Je ne vais pas vous dire le contraire. Est-ce que j’aurais préféré que ce soit le cas ? Bien sûr que j’aurais préféré, mais je suis maire de la sixième ville de France, donc j’agis dans un principe de réalité et la réalité, c’était une baisse des dotations jamais connue, une situation qui a touché toutes les grandes villes de France. Donc j’ai tenu l’engagement qui était le mien, pas de hausse de fiscalité à la ville de Nantes, cet engagement sera tenu sur la totalité du mandat, et à la métropole, avec les maires, nous avons effectivement pris deux décisions : d’abord un niveau d’économie de fonctionnement sans précédent, et je sais le travail que fournissent les services pour parvenir à tenir les engagements pris ! Ensuite on a fait le choix d'une hausse de cette fiscalité métropolitaine qui je le rappelle, à Nantes, est loin de concerner 100 % des ménages, puisque nous avons aussi baissé la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Au total ceci est neutre pour les locataires et l'augmentation la plus sensible est pour les propriétaires non-occupants. Oui, j’assume de dire qu’on a demandé à ces derniers un plus gros effort. J'ajoute qu'il n'y aura pas d'autre hausse de la fiscalité métropolitaine dans le mandat. Et conformément à l'engagement que j'ai pris, je le répète, pas de hausse des impôts locaux à Nantes.
Il existe plusieurs villes dans lesquelles j’ai envie de prendre des choses, mais pas une qui concentrerait tout. À Amsterdam, j’ai envie qu’on aille chercher leur avance sur la transition écologique ; à Barcelone, j’ai envie qu’on aille chercher le sens de la fête, de la créativité, d’une vitalité culturelle qui fait du bien…
Une ville italienne.
Oui.
[Rires] À Nantes, tout est possible, tout est toujours possible !
On accélère.
Oui.
2Zone d’éducation prioritaire.
3 « Se mobiliser aujourd’hui pour réinventer la gauche demain », Libération, 21 mai 2017.
4Club immobilier Nantes Atlantique
5Association qui regroupe les maires des grandes villes et les élus des métropoles.